SENEGAL/ENERGIE: LE PAYS PEUT-IL ECHAPPER A LA MALEDICTION DU PETROLE ?
La malédiction du pétrole, malgré l’enthousiasme suscité par un tel événement historique, reste
un phénomène à prendre au sérieux, surtout dans une sous-région déchirée par l’instabilité.
Docteur Seydou Kanté de Tambacounda se prononce (14/06/2024).
Le Sénégal vient d’extraire son premier baril de pétrole, un événement qui a fait la une de la
presse nationale et internationale. Après plusieurs années d’attente, il entre donc dans le cercle
fermé des pays producteurs d’or noir. Malgré l’enthousiasme suscité par cet événement
historique, la malédiction du pétrole reste un phénomène à prendre au sérieux, surtout dans
une sous-région déchirée par l’instabilité. ///Ça y est ! L’opérateur Woodside a annoncé la
sortie du premier baril de pétrole tiré du champ de Sangomar. Ce puits prometteur devrait
permettre à terme à notre pays d’atteindre une production de 100 000 barils par jour, soit à
peu près les mêmes volumes que le Ghana. Une bonne nouvelle pour notre pays touché par
une crise économique sans précédent. L’inflation y est galopante. Des projets structurants sont
à l’arrêt. Les politiques peinent à résoudre l’équation de l’emploi des jeunes. C’est pourquoi
la manne financière qui devrait provenir de l’exploitation de ce pétrole suscite beaucoup
d’espoirs au niveau de la population. Une population qui, cependant, devrait prendre garde à
la malédiction du pétrole. L’histoire a montré que les zones de production d’hydrocarbures
sont souvent déchirées par l’instabilité et une répartition inégale des richesses entraînant
souvent des guerres civiles. Voire des guerres tout court. Le Sénégal peut-il échapper à la «
maladie hollandaise » ? ///Conscientes de la réalité de ce risque, les autorités ont, dès 2018,
initié un dialogue national sur la gestion des rentes issues de l’exploitation des hydrocarbures.
L’occasion pour l’ancien président de la République Macky Sall de garantir une gestion
inclusive, durable et prudente des ressources. « Cette rencontre a permis un consensus autour
de la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz, de promouvoir la
transparence et de partager toutes les informations sur le secteur pétrolier et gazier du Sénégal
», affirme Dr Seydou Kanté, géopoliticien. Il assure que le Sénégal, à l’instar des pays
scandinaves, s’est bien préparé à l’exploitation de son pétrole. « Le Sénégal a pris des
mesures anticipatives pour ne pas être surpris par les conséquences négatives de la production
de l’or noir, ce que beaucoup de pays n’ont pas fait après la découverte de pétrole. C’est le cas
de plusieurs pays en Afrique et au Moyen-Orient », ajoute-t-il.
Prendre conscience des erreurs du passé. Le Sénégal a tiré les leçons des erreurs commises
ailleurs en Afrique et dans le monde. Plusieurs pays producteurs de pétrole et/ou de gaz ont
sombré dans les abysses de l’instabilité chronique. Selon le chercheur Dr Seydou Kanté,
l’implication des acteurs politiques, des autorités religieuses et coutumières, des membres de
la société civile et du secteur privé dans la gestion des hydrocarbures est déjà une réussite.
C’est d’ailleurs ce qui explique l’adhésion du Sénégal à l’ITIE (Initiative pour la transparence
dans les industries extractives) depuis 2013. Cette mesure conservatoire visant à promouvoir
la transparence constitue un rempart contre les externalités négatives liées au développement
de l’industrie pétrolière, notamment la corruption. ///Par ailleurs, la situation géographique
des gisements découverts est aussi un facteur essentiel. Les blocs de Sangomar et de Cayar
sont des gisements « offshore » (se trouvant en haute mer). Cette particularité permet au
Sénégal d’échapper à des revendications autochtones qui se soldent souvent par des
rébellions. Une bénédiction le fait que ces hydrocarbures soient off-shore, diront certains
spécialistes. Pourquoi ? Si nous prenons une carte des pays disposant de ressources pétrolières
« onshore » (se trouvant dans l’espace terrestre), les conflits entre le gouvernement central et
les populations vivant aux alentours des gisements sont fréquents. L’instabilité dans le Delta
du Niger (Nigeria) et l’enclave de Cabinda (Angola) sont des illustrations parfaites des
appétits des populations vivant çà côté des gisements d’hydrocarbures. « L’exploitation du
pétrole en mer permet d’éviter les risques de conflits. Les plateformes de forage sont souvent
situées dans des zones inaccessibles. Il faut des moyens colossaux pour les attaquer »,
explique un spécialiste en géopolitique.
Impacts sur les ressources halieutiques. Pour Amadou Diallo, spécialiste en relations
internationales, l’inconvénient des plateformes offshore est la limitation de la pêche dans
certaines zones. Or, déplore-t-il, « si les ressources halieutiques sont impactées, cela peut
créer des frustrations auprès des pêcheurs ». « La pêche est un secteur important de
l’économie sénégalaise. Les pirogues sont souvent interdites de s’approcher des plateformes
pétrolières », explique-t-il. Cependant, selon lui, vu la répartition géographique des
plateformes et l’inclusion des acteurs de la pêche dans le dialogue sur les hydrocarbures, il est
fort probable que des mécontentements soient évités. ///Par ailleurs, la cohésion sociale
prévalant chez nous serait également un atout. Le Sénégal est l’un des rares pays à ne pas
sombrer dans les entrailles du communautarisme, souvent à l’origine des conflits ethniques
dans plusieurs pays pétroliers. Dès lors, la stabilité du pays est un gage contre la malédiction
de l’or noir. Alors qu’une crise post-électorale se profilait au lendemain de la présidentielle de
mars 2024, il a su s’appuyer sur ses ressorts pour résoudre ses querelles internes. « Le Sénégal
est un pays dont les piliers sont très solides. À chaque crise, il a su se redresser et apprendre
de ses erreurs », indique Dr Seydou Kanté. ///Aujourd’hui, le pays de la Téranga est
convoité pour ses ressources en hydrocarbures. Les vautours rodent autour !
L’instrumentalisation des acteurs non-étatiques à des fins de chantage devient plus que jamais
une inquiétude. Conscientes de cette menace, les décideurs ont pris les devants. Comment ?
En renforçant l’armée qui a connu une montée en puissance sans précédents ces dernières
années en termes d’équipements de pointe notamment des navires lance-missiles et des
aéonefs. Les forces de défense et de sécurité restent un solide rempart face aux menaces. La
sécurisation des plateformes est plus que jamais un leitmotiv. L’acquisition de patrouilleurs
envoie un fort signal aux menaces venant de la mer. L’érection de plusieurs bases à la
frontière avec le Mali permet de se prémunir des menaces terrestres. La ceinture de feu n’est
pas loin. Des djihadistes surarmés dictent leurs lois dans le nord du Mali. La mise en place du
Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention (GARSI) dans les zones frontalières
sensibles constitue un tournant majeur dans la lutte contre les menaces transfrontalières. Ces
unités d’élite, légères et mobiles, sont conçues pour être polyvalentes afin de contrer les
infiltrations. Bref, qu’importent les menaces, le Sénégal reste un pays outillé pour faire face à
la malédiction du pétrole ! Nos compatriotes croisent les doigts.
KEBE KEBA /TAMBAACTU1
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